
Contexte de la démarche :
On m’a récemment demandé de créer un agent tuteur basé sur l’intelligence artificielle, et je me suis dit qu’il fallait d’abord prendre du recul et me poser quelques questions fondamentales. Avant de me lancer tête baissée dans la programmation et la configuration de prompts, j’ai voulu comprendre le paysage actuel. Quels sont les bons exemples d’agents tuteurs déjà disponibles, comme Khanmigo de Khan Academy? Qu’est-ce qui fait vraiment la différence entre un tuteur médiocre et un tuteur exceptionnel? Comment ces qualités humaines peuvent-elles être transférées dans un outil conversationnel propulsé par l’IA? Et finalement, comment doit-on formuler nos instructions à l’IA pour qu’elle puisse incarner ces qualités?
C’est dans cette optique que je vais explorer aujourd’hui la deuxième de ces questions, celle qui touche au cœur même de l’enseignement : qu’est-ce qui fait un bon tuteur, et surtout, comment peut-on traduire ces qualités essentiellement humaines dans un système conversationnel automatisé?
L’essence du bon tutorat : au-delà de la simple transmission de connaissances
Quand on pense à un bon tuteur, l’image qui nous vient souvent en tête est celle d’une personne patiente, à l’écoute, qui sait expliquer les concepts difficiles de manière accessible. Mais cette vision, bien que juste, reste incomplète. Les recherches récentes en sciences de l’éducation nous révèlent que l’excellence en tutorat repose sur un équilibre délicat entre plusieurs dimensions interconnectées.
Prenons d’abord la personnalisation, ce Saint Graal de l’éducation moderne. Une étude menée à l’Université UniDistance Suisse avec des étudiants en neurosciences a démontré que lorsqu’un tuteur IA personnalisait vraiment son approche en fonction du niveau individuel de chaque étudiant, les résultats étaient remarquables (Baillifard et al., 2025). Les étudiants qui s’engageaient activement avec ce tuteur personnalisé obtenaient des notes significativement supérieures, avec une amélioration pouvant atteindre quinze points de percentile par rapport à leurs pairs qui n’utilisaient pas l’outil. Ce qui rendait cette personnalisation efficace, c’était l’utilisation d’un modèle de réseau neuronal dynamique qui suivait continuellement la compréhension de chaque concept par l’étudiant, permettant ainsi d’adapter le niveau de difficulté et le moment des interventions.
Mais la personnalisation seule ne suffit pas. Un bon tuteur doit également maîtriser l’art du questionnement et de la rétroaction. Ici, la recherche nous offre une perspective fascinante : plutôt que de simplement poser des questions aux étudiants, pourquoi ne pas inverser les rôles? Une étude menée à Taïwan avec des élèves de cinquième année a exploré cette approche révolutionnaire appelée « apprendre en enseignant » (Liu et al., 2024). Les chercheurs ont créé un chatbot que les étudiants devaient eux-mêmes entraîner en générant leurs propres questions et réponses sur leurs lectures. Cette inversion de rôle a transformé les apprenants passifs en participants actifs, augmentant significativement leur intérêt pour la lecture et leur engagement. C’est là une leçon profonde : un bon tuteur ne se contente pas de transmettre, il crée les conditions pour que l’apprenant devienne lui-même créateur de savoir.
Les principes pédagogiques qui transcendent la technologie
Au-delà des techniques spécifiques, certains principes pédagogiques fondamentaux émergent comme essentiels, qu’on parle d’un tuteur humain ou d’un agent IA.
Le premier de ces principes est la pratique de récupération espacée. L’étude suisse mentionnée plus haut a démontré que lorsque le tuteur IA intégrait systématiquement des exercices de récupération distribués dans le temps, personnalisés selon le rythme de chaque étudiant, l’apprentissage était non seulement plus durable, mais aussi plus profond (Baillifard et al., 2025). Ce principe, bien connu en sciences cognitives, reste pourtant difficile à implémenter dans un contexte classique d’enseignement où un professeur doit gérer trente élèves simultanément. C’est précisément là qu’un agent IA peut exceller, en maintenant pour chaque apprenant un calendrier personnalisé de révision optimal.
Un autre principe fondamental concerne ce qu’on pourrait appeler l’intelligence émotionnelle pédagogique. Une recherche fascinante menée avec cent quatorze étudiants universitaires a révélé quelque chose de contre-intuitif : bien que les étudiants manifestaient initialement une préférence marquée pour les tuteurs humains (un phénomène appelé « aversion aux algorithmes »), cette préférence changeait radicalement après avoir expérimenté une interface conversationnelle fluide et naturelle (Le et al., 2025). Les étudiants qui avaient utilisé ChatGPT avec son interface de dialogue libre ont montré une augmentation notable de leur préférence pour l’outil IA, tandis que ceux qui avaient utilisé une interface structurée et rigide maintenaient leur préférence pour les tuteurs humains. Cette découverte nous enseigne que la qualité de l’interaction, sa fluidité et son naturel, compte autant que la qualité du contenu lui-même.
La dimension de la fiabilité intellectuelle : construire la confiance et la crédibilité
Mais qu’en est-il de la confiance, cet élément si crucial dans la relation tuteur-élève? Des chercheurs de l’Université de l’Illinois ont développé un cadre conceptuel particulièrement éclairant pour penser la fiabilité intellectuelle des tuteurs IA (Tanchuk & Taylor, 2025). Selon eux, cinq critères fondamentaux doivent être remplis pour qu’un agent tuteur soit digne de confiance sur le plan de la connaissance.
Le premier critère est l’engagement envers l’apprentissage authentique. Un bon tuteur, qu’il soit humain ou artificiel, doit démontrer un engagement authentique envers la vérité et l’apprentissage de l’étudiant, plutôt que de simplement chercher à donner des réponses qui plaisent ou qui vont dans le sens des attentes. Dans le contexte d’un agent IA, cela signifie programmer le système pour qu’il privilégie systématiquement l’exactitude et la compréhension profonde plutôt que la simple satisfaction immédiate de l’utilisateur.
Le deuxième critère, l’ouverture pédagogique, renvoie à la capacité du tuteur d’intégrer différentes perspectives et approches d’enseignement. Un tuteur IA vraiment inclusif ne devrait pas imposer une seule méthode d’apprentissage, mais plutôt offrir diverses voies d’accès au savoir, reconnaissant que les étudiants ont des styles cognitifs différents. Cela pourrait se traduire par la capacité de l’agent à proposer des explications visuelles, verbales, mathématiques ou analogiques selon les besoins et préférences de l’apprenant.
La responsabilité intellectuelle, troisième critère, implique que le tuteur doit pouvoir expliquer ses raisonnements et reconnaître les limites de ses connaissances. C’est peut-être l’un des aspects les plus délicats à implémenter dans un agent IA, qui peut avoir tendance à générer des réponses confiantes même lorsqu’il est incertain. Un bon agent tuteur devrait être programmé pour expliciter ses sources, admettre son incertitude, et encourager l’esprit critique de l’étudiant.
Le quatrième critère, la précision des connaissances, semble évident mais mérite d’être souligné : un tuteur doit fournir des informations exactes et à jour. Dans le contexte d’un agent IA conversationnel, cela nécessite une mise à jour régulière des connaissances et des mécanismes de vérification robustes pour éviter les hallucinations ou les informations erronées.
Enfin, la transparence réciproque demande une ouverture bidirectionnelle : le tuteur doit être transparent sur ses méthodes et ses processus, tandis que l’étudiant doit pouvoir exprimer librement ses incompréhensions et ses questionnements sans crainte de jugement.
Le design d’interaction : quand la forme rejoint le fond
L’architecture d’interaction d’un agent tuteur IA n’est pas qu’une question technique, elle façonne fondamentalement l’expérience d’apprentissage. Une étude menée à l’Université Rowan auprès d’étudiants de première année en ingénierie a mis en lumière l’importance du design itératif basé sur les retours des utilisateurs (Hare et al., 2025). Les chercheurs ont développé un jeu éducatif intelligent intégrant un tuteur IA basé sur l’apprentissage par renforcement multi-agents. Ce qui a fait la différence, c’est leur approche centrée sur l’interaction humain-machine et leur volonté d’écouter attentivement les retours des étudiants pour raffiner continuellement l’interface et les mécanismes de rétroaction.
Les étudiants ont particulièrement apprécié l’environnement gamifié, qui transformait l’apprentissage en une expérience engageante plutôt qu’en une corvée. Mais au-delà de la gamification superficielle, ce qui importait vraiment était le sentiment que l’IA augmentait leur intelligence plutôt que de la remplacer. L’agent tuteur était conçu non pas comme un substitut au professeur, mais comme un complément qui permettait une pratique individualisée et un feedback immédiat, libérant ainsi l’enseignant humain pour se concentrer sur les interactions pédagogiques de plus haut niveau.
L’équilibre délicat : autonomie versus support
Un des défis les plus subtils dans la conception d’un agent tuteur IA concerne l’équilibre entre le support apporté et le développement de l’autonomie de l’apprenant. Une recherche impliquant plus de trente-sept mille étudiants dans un contexte d’éducation à distance en Indonésie a exploré comment les tuteurs IA générateurs pouvaient améliorer l’engagement et la réussite académique (Open Praxis, 2025). Les résultats ont montré que les étudiants assistés par l’IA participaient plus activement aux forums de discussion et obtenaient des scores légèrement supérieurs dans leurs travaux.
Cependant, les chercheurs ont également soulevé une préoccupation importante : comment éviter que la facilité d’accès à un tuteur IA toujours disponible ne conduise à une dépendance excessive et à une paresse métacognitive? C’est une question que l’étude sur les préférences des apprenants a également abordée, notant que l’augmentation de la préférence pour les outils IA, particulièrement ceux avec des interfaces engageantes, pourrait potentiellement mener à une surreliance et à un affaiblissement des compétences d’apprentissage autonome (Le et al., 2025).
« Un tuteur excellent sait quand se retirer, quand pousser l’étudiant à chercher par lui-même, quand frustrer constructivement pour encourager la persévérance et le développement de stratégies d’apprentissage autonomes. »
Cette tension révèle quelque chose de fondamental sur ce qui fait un bon tuteur : il ne s’agit pas simplement de toujours donner des réponses ou de toujours être disponible. Un tuteur excellent sait quand se retirer, quand pousser l’étudiant à chercher par lui-même, quand frustrer constructivement pour encourager la persévérance et le développement de stratégies d’apprentissage autonomes. Traduire cette sagesse pédagogique dans un agent conversationnel demande une sophistication particulière dans la programmation : l’agent doit être capable de moduler son niveau d’aide, de poser des questions socratiques plutôt que de donner des réponses directes, et d’encourager explicitement le développement de l’autonomie.
Synthèse : les piliers d’un agent tuteur IA efficace
En synthétisant toutes ces recherches et réflexions, on peut identifier plusieurs qualités essentielles qu’un bon tuteur doit posséder et qui peuvent être transférées dans un outil conversationnel IA.
D’abord, la personnalisation adaptative, qui va au-delà de simples ajustements superficiels pour vraiment modéliser la compréhension de chaque concept par l’apprenant et adapter dynamiquement le contenu, le moment et le format des interventions pédagogiques.
Ensuite, l’interactivité dialogique naturelle, qui crée une expérience conversationnelle fluide et naturelle où l’étudiant se sent écouté et compris, plutôt que contraint par une interface rigide et prévisible.
La pédagogie active et inversée constitue un troisième pilier, encourageant l’étudiant à devenir créateur plutôt que simple récepteur, à enseigner plutôt qu’à seulement apprendre, à questionner plutôt qu’à seulement répondre.
La crédibilité et la fiabilité représentent un quatrième pilier fondamental, englobant la précision, la transparence, l’humilité intellectuelle et la capacité à reconnaître les limites de ses connaissances.
Le cinquième pilier concerne la rétroaction intelligente et espacée, intégrant les principes de sciences cognitives pour optimiser la rétention à long terme à travers une pratique de récupération distribuée et personnalisée.
Le design motivationnel constitue un sixième pilier, créant un environnement d’apprentissage engageant qui maintient l’intérêt et la motivation sans tomber dans la gamification superficielle ou la dépendance excessive.
Enfin, l’échafaudage progressif vers l’autonomie représente peut-être le pilier le plus sophistiqué : savoir quand aider, quand se retirer, quand pousser vers plus d’indépendance, toujours avec l’objectif ultime de rendre l’apprenant capable de se passer du tuteur.
Implications pour la conception de prompts
Ces réflexions ont des implications directes pour la quatrième question de ma démarche : comment prompter optimalement une IA pour qu’elle incarne toutes ces qualités? Mais avant d’explorer cette dimension technique, il était essentiel de comprendre profondément ce qui fait l’essence même d’un bon tutorat. Car on ne peut pas instruire une IA à être un bon tuteur si on n’a pas d’abord clairement défini ce qu’on entend par là.
Ce que ces recherches nous enseignent, c’est que la qualité d’un tuteur ne se mesure pas uniquement à sa capacité à transmettre des informations correctes. Elle se mesure à sa capacité à créer les conditions optimales pour l’apprentissage, à s’adapter continuellement à chaque apprenant unique, à inspirer la confiance tout en développant l’autonomie, et à rendre l’apprentissage non seulement efficace mais aussi engageant et personnellement significatif.
Dans les prochaines étapes de cette exploration, nous pourrons examiner comment ces principes peuvent être traduits en instructions concrètes pour un grand modèle de langage, et comment évaluer si l’agent tuteur résultant incarne vraiment ces qualités essentielles. Mais cette fondation conceptuelle était indispensable : on ne peut pas construire un bon outil sans d’abord comprendre ce qu’on cherche vraiment à accomplir et pourquoi.
Références
Baillifard, A., Gabella, M., Banta Lavenex, P., & Martarelli, C. S. (2025). Effective learning with a personal AI tutor: A case study. Education and Information Technologies, 30(1), 297-312. https://doi.org/10.1007/s10639-024-12888-5
Hare, R., Ferguson, S., & Tang, Y. (2025). Enhancing student experience and learning with iterative design in an intelligent educational game. British Journal of Educational Technology, 56(2), 551-568. https://doi.org/10.1111/bjet.13456
Le, H., Shen, Y., Li, Z., Xia, M., Tang, L., Li, X., Jia, J., Wang, Q., Gaševic, D., & Fan, Y. (2025). Breaking human dominance: Investigating learners’ preferences for learning feedback from generative AI and human tutors. British Journal of Educational Technology, 56(5), 1758-1783. https://doi.org/10.1111/bjet.13614
Liu, C.-C., Chen, W.-J., Lo, F.-Y., Chang, C.-H., & Lin, H.-M. (2024). Teachable Q&A agent: The effect of chatbot training by students on reading interest and engagement. Journal of Educational Computing Research, 62(4), 1122-1154. https://doi.org/10.1177/07356331241236467
Open Praxis. (2025). Generative AI-based tutoring for enhancing learning engagement and achievement. Open Praxis, 17(2), 211-226. https://eric.ed.gov/?id=EJ1481062
Tanchuk, N. J., & Taylor, R. M. (2025). Personalized learning with AI tutors: Assessing and advancing epistemic trustworthiness. Educational Theory, 75(2), 327-353. https://doi.org/10.1111/edth.70009








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