Les IA modernes : Les nouveaux oracles de notre temps ?

La consultation des oracles dans l’Antiquité peut sembler bien éloignée de notre usage actuel de l’intelligence artificielle. Pourtant, ces deux phénomènes présentent des similitudes saisissantes qui nous éclairent sur notre relation contemporaine avec la technologie.

Une quête intemporelle de réponses

Dans l’Antiquité, les Romains et les Grecs se tournaient vers les oracles de Delphes ou de Cumes pour obtenir des réponses à leurs interrogations les plus pressantes. L’oracle de Delphes, notamment, attirait des consultants de tout le monde méditerranéen, des simples citoyens aux empereurs. Aujourd’hui, nous interrogeons ChatGPT, Claude, ou Gemini avec une ferveur similaire, espérant obtenir des réponses instantanées à nos questions les plus diverses.

Le danger de la confiance aveugle

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L’histoire nous offre de nombreux exemples des dangers d’une confiance excessive dans les oracles. L’un des plus célèbres est celui de Crésus, roi de Lydie, qui consulta l’oracle de Delphes avant d’attaquer l’empire perse. L’oracle lui répondit qu’en traversant le fleuve Halys, il détruirait un grand empire. Crésus interpréta cette prédiction en sa faveur, mais c’est son propre empire qui fut détruit.

De même, aujourd’hui, une confiance démesurée dans l’IA peut mener à des décisions désastreuses. Des entreprises basent parfois des décisions stratégiques sur des analyses d’IA sans vérification approfondie, des étudiants citent des sources inexistantes générées par l’IA, et des professionnels prennent des décisions cruciales en se fiant aveuglément aux recommandations des systèmes automatisés.

L’ambiguïté des réponses et le rôle de l’interprétation

Les réponses des oracles étaient notoirement ambiguës. La Pythie de Delphes délivrait ses prophéties dans un état de transe, et ses paroles nécessitaient l’interprétation des prêtres. Cette ambiguïté n’était pas un « bug » mais une « feature » : elle permettait de multiples interprétations et protégeait la réputation de l’oracle.

Les IA modernes présentent une forme similaire d’ambiguïté à travers leurs « hallucinations » – ces réponses qui semblent cohérentes mais sont en réalité inexactes. Comme pour les oracles antiques, la valeur de ces réponses dépend largement de notre capacité à les interpréter correctement et à les vérifier.

Le contexte social et culturel

Les oracles jouaient un rôle fondamental dans la société antique. Ils ne se contentaient pas de prédire l’avenir : ils légitimaient des décisions politiques, guidaient la fondation de colonies, et influençaient la stratégie militaire. L’oracle de Delphes fut même surnommé « le gestionnaire de la colonisation grecque » pour son rôle dans l’expansion hellénique.

Aujourd’hui, l’IA occupe progressivement une position similaire. Elle influence les décisions en matière de recrutement, de prêts bancaires, de diagnostic médical, et même de décisions judiciaires. Comme les oracles autrefois, elle devient une source d’autorité qui façonne notre société.

Les limites et les biais inhérents

Les oracles antiques étaient influencés par les réalités politiques de leur temps. L’oracle de Delphes, par exemple, fut accusé de « médiser » (prendre le parti des Perses) pendant les guerres médiques. Ces biais reflétaient les intérêts des puissants qui contrôlaient ces institutions.

De même, les IA actuelles sont façonnées par leurs données d’entraînement, qui peuvent perpétuer des biais sociaux, culturels et historiques. Pour développer notre esprit critique face à l’IA, plusieurs approches sont essentielles :

  • Croiser systématiquement les sources : ne jamais se contenter d’une seule réponse de l’IA, mais la comparer avec d’autres sources fiables
  • Questionner la provenance des informations : demander à l’IA de citer ses sources et vérifier leur validité
  • Être attentif aux biais potentiels : se demander si la réponse pourrait être influencée par des préjugés culturels ou sociaux
  • Tester les limites : poser la même question de différentes manières pour voir si les réponses restent cohérentes
  • Garder une trace des erreurs constatées pour mieux comprendre les domaines où l’IA est moins fiable

Vers une utilisation éclairée

L’histoire nous enseigne que la vraie sagesse réside dans la reconnaissance des limites de nos outils de prédiction et de conseil.

De même, notre utilisation de l’IA devrait être guidée par une compréhension lucide de ses capacités et de ses limites. Nous devons développer une « littératie numérique » approfondie, c’est-à-dire une maîtrise éclairée de ces outils. Cette compétence peut être développée de plusieurs façons :

  • Formation technique de base :
    • Comprendre les principes fondamentaux du fonctionnement de l’IA
    • Connaître les différents types d’IA et leurs applications spécifiques
    • Se familiariser avec les limites techniques actuelles de ces systèmes
  • Développement de l’esprit critique :
    • Apprendre à formuler des requêtes précises et structurées
    • Savoir identifier les réponses incohérentes ou suspectes
    • Développer une approche systématique de vérification des informations
  • Pratique réflexive :
    • Tenir un journal de ses interactions avec l’IA
    • Analyser les succès et les échecs dans l’utilisation de ces outils
    • Partager ses expériences avec d’autres utilisateurs
  • Veille technologique :
    • Suivre l’évolution des capacités et des limites des systèmes d’IA
    • Se tenir informé des dernières recherches et découvertes dans le domaine
    • Participer à des communautés d’utilisateurs pour échanger sur les bonnes pratiques

Conclusion

La comparaison entre les oracles antiques et l’IA moderne nous rappelle que la quête humaine de certitude et de guidance est intemporelle. Cependant, elle nous met aussi en garde contre les dangers d’une confiance excessive dans des systèmes dont nous ne comprenons pas toujours les limites.

Comme les anciens qui apprirent à interpréter prudemment les messages des oracles, nous devons développer une relation équilibrée avec l’IA : ni rejet total, ni confiance aveugle, mais une utilisation éclairée qui reconnaît à la fois le potentiel et les limites de ces nouveaux « oracles » numériques.

La véritable sagesse, hier comme aujourd’hui, réside peut-être moins dans les réponses que nous recevons que dans notre capacité à les questionner et à les contextualiser.


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Anthony Mak

Designer graphique passionné par l’apprentissage en milieu professionnel, j’explore les idées liées au design et aux technologies éducatives. Mon parcours m’a conduit à fusionner le design graphique et la formation, créant ainsi (je l’espère!) des expériences d’apprentissage engageantes et innovantes. Sur ce blogue, je partage mes réflexions, découvertes et pratiques autour de ces thèmes.

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